À la hauteur du cimetière juif, Félix étire le cou pour admirer les étoiles de David qui ornent les pierres tombales tout en tirant sur la corde citron qui détonne tant dans son décor. En sortant de l’autobus, il essuie ses mains sur son pantalon noir et remonte son col avant de poursuivre son chemin. Sur la rue Madeleine-de-Verchères, il est accueilli par une pluie de feuilles humides et odorantes. Elles sont jaune pomme, orange brûlé ou cramoisies.
Après le troisième dos-d'âne qui donne son relief particulier à la rue, le jeune homme s’arrête. À sa droite, il regarde le numéro 991. Au deuxième étage, on devine une chambre orange. Au bord de la fenêtre, le chat aux couleurs de la pluie de feuilles le fixe. Félix s’attarde quelques minutes. Il n’y a personne à la maison. Après une hésitation, il pousse un soupir et revient sur ses pas.
Il se rend au café du Temps Perdu où il choisit sa table avec soin. La serveuse, Katherine, ne prend pas la peine de prendre sa commande et lui apporte un café. Ses chaussures sont différentes, elles sont molles et du vert de la mousse qui pousse sur les roches. De ses yeux très noirs, la jeune femme dévisage Félix avec un sourire en coin, puis vient s’asseoir face à lui. La chaleur du café pénètre par les mains rougies du garçon jusqu’à son visage qui devient brûlant. « Merci beaucoup », croit-il dire, mais ne sort de sa bouche qu’un balbutiement. Les bagues dorées de Katherine émettent des reflets sur la table pendant qu’elle parle. « Je sais que tu me suis, parfois, et que tu épies à ma fenêtre depuis quelques mois. » Félix a l’impression de se liquéfier. Il ne peut dire si le ton de sa voix est saccadé de colère, tremblant de peur, retentissant d’indignation ou… langoureux de complaisance? De ses longs doigts aux ongles polis, elle relève son menton. « Si tu voulais me voir, tu n’avais qu’à demander! Je n’ai rien ce matin, si ça t’intéresse… » susurre-t-elle, ses lèvres pourpres esquissant une moue de séduction. Tendu, il se contente d’acquiescer.
Comme un automate, Félix boit son café et paie l’addition pendant que la serveuse remue de l’air et fait briller ses dents carrées. Il la suit ensuite sur le chemin qu’il a emprunté pour se rendre au café, jusqu’au numéro 991. Elle le fait entrer en posant sa main chaude dans la sienne. Pas de trace d’un autre être humain sur l’étage qu’elle occupe, si on fait exception de certaines odeurs différentes du parfum féminin de Katherine, qui se débarrasse de son habit de serveuse. Le jeune homme se laisse guider.
« C’était ta première fois hein? On ne me trompe pas là-dessus! » Katherine émet un gloussement et sort du lit. « J’ai toujours aimé les taciturnes! » lance-t-elle avant de quitter la chambre. Un bruit de douche retentit dans le couloir. S’étant rhabillé, Félix s’approche de la fenêtre où le chat couleur d’automne se prélasse toujours. De ses yeux ambrés, le félin l’observe avec curiosité. Tremblant légèrement, les doigts avides de Félix plongent enfin dans cette fourrure à la fois rude et douce, chaude d’une vie indépendante. Après un coup d’œil autour de lui, il emporte l’animal complaisant sur le chemin de la Pointe-de-Sainte-Foy, sentant enfin la sérénité détendre ses traits.