mardi 2 février 2010

De Saint-Jean à Myrand

C’était l’avant-veille de la Saint-Jean Baptiste. Je suis sortie de la maison avec cette sensation de bien-être que l’on ressent parfois, que ni le vent frais, ni les nuages qui menaçaient d’éclater n’ont pu tuer – ébranler, tout au plus, mais pas tuer. J’allais prendre l’autobus. Ma destination était mon point de départ, ou peut-être pas. L’autobus a ça de supérieur à la voiture qu’en plus d’être moins polluante (dans un monde où tout est relatif), elle nous met en relation avec les autres. Relations toujours brèves, souvent silencieuses, parfois même ignorées… J’aimerais dire « jamais banales », ça ferait bien, mais ce serait faux. La banalité des interactions dans les autobus est généralement extravagante, mais ça n’est heureusement pas un absolu.

Bref, je profitais simplement de ma condition d’être vivant, ne demandant rien à personne, simplement occupée à observer un peu et à être beaucoup (voir ici une certaine correspondance entre « écrire » et « être »), lorsqu’il est entré dans l’autobus, au terminus de la 7, tout près de Saint-Jean.

Un petit gars de vingt ans, perdu, comme moi, peut-être plus. Entre enfants incompris, on se comprend. Un regard nous a suffit pour qu’on s’adresse la parole.
«T’as hâte à la St-Jean toi!», lui ais-je dit en remarquant – comment ne pas le faire – le drapeau du Québec jeté – drapé – sur ses épaules.

Il est venu s’asseoir à côté de moi (en déplaçant tant bien que mal sa guitare et son monocycle), et on a parlé. De n’importe quoi, en général et en particulier. On n’avait rien à se cacher; on ne se connaissait pas! Il a lu ce que j’écrivais, il m’a parlé de ce qu’il composait. Une conversation banale entre une secrétaire et un cracheur de feu. Entre l’accro des docteurs sédentaire et l’amuseur public bohême. Mon voyage organisé et commandité au Japon contre son évasion sur le pouce dans l’Ouest. Nous n’étions pas si différents. Nous fuyions les mêmes tourments dans des directions opposées. Je les niais, il y plongeait.

Nous n’en avons pas eu pour très longtemps à parler de tout et de rien, car il devait rejoindre des amis sur la rue Myrand. Alors on s’est quittés, aussi bêtement qu’on s’est rencontrés, aussi simplement aussi. Je me suis calée dans mon siège pour reprendre le fil de mes pensées et il est parti, le sac sur le dos, à califourchon sur son monocycle sur le côté de la rue, la cape québécoise au vent et la guitare à la main. Il est très peu probable qu’on se revoie jamais, puisqu’il part dans l’Ouest et que je ne connais que son prénom, mais ça n’a pas d’importance, c’était suffisant.

Après tout, cette amitié en valait bien une autre. Qu’elle dure quinze minutes ou trente ans, elles vont toutes commencer là où des chemins se croisent et se confondent, et se terminer là où ils se séparent.

Qu’importe que ce soit du berceau au tombeau ou de Saint-Jean à Myrand?

C’est toujours un bout de chemin avec un peu de compagnie.